Le thème du Banquet du livre 2015 est apparu « en creux » dans maintes interventions du Banquet 2014 qui portait sur : « Qui est nous aujourd’hui ? ».
Deux faits majeurs ont apporté une note des plus sombres à ce questionnement : les attentats islamistes du mois de janvier et la mort des réfugiés noyés au large de la Méditerranée. Il est apparu nettement que nous ne pouvions poursuivre notre réflexion qu’en prenant en compte ces deux événements.
La question de l’étranger est aujourd’hui centrale en Europe : elle pose des problèmes socio-démographiques, économiques, politiques, anthropologiques, mais aussi métaphysiques, éthiques et psychiques.
Depuis au moins Platon et les Grecs, nous entretenons un rapport ambigu, ambivalent à l’étranger : à la fois peur et fascination, rejet, xénophobie et accueil, hospitalité. La question de l’étranger devient pleinement la question de l’altérité – notamment celle du rapport à autrui, mais plus profondément à ce qui est autre. Ce qui nous est étranger renvoie au rapport du Moi au Soi, de « l’étranger à nous-mêmes », mais aussi à notre rapport à la « nature sauvage », opposée à la culture et toujours à conquérir, à domestiquer : n’est-on pas entrés dans un post-humanisme où la relation de l’homme à la nature se trouve profondément réinterrogée ? La discrimination entre le même et ce qui lui est étranger est également cruciale pour la construction du savoir. La division Même/Autre est en effet un principe de toute connaissance.
Pour finir, est-il nécessaire de rappeler que la littérature se constitue comme rapport à ce qui nous est étranger ? Les grands textes de la littérature conduisent le lecteur vers des espaces inédits – le placent donc face à de l’inconnu, de l’étranger, voire de l’étrange. Surmonter la difficulté première d’un texte pour découvrir sa clarté lumineuse consiste à se rendre pleinement disponible pour accueillir l’étranger qui lui fait signe.